resurrection filmLe récit de la résurrection selon saint Marc se conclut par une phrase étrange, que le lectionnaire liturgique a censurée : Elles sortirent et s’enfuirent du tombeau, parce qu’elles étaient toutes tremblantes et hors d’elles-mêmes. Elles ne dirent rien à personne, car elles avaient peur (Mc 16, 8).

Tellement étrange qu’on a très tôt complété par le témoignage de Marie Madeleine (écho du récit de saint Jean), l’expérience des deux disciples sur la route (saint Luc), et l’envoi en mission (écho de saint Matthieu).

Il ne faut pas effacer cette frayeur des premiers témoins, cette fuite, ce tremblement du corps et de l’âme, ce mutisme. Ce n’est pas émotionnel. C’est spirituel. Marc nous laisse entrevoir le tout premier mouvement de ceux qui ont rendez-vous, comme les femmes, avec l’absence, avec l’Absent. Le tombeau vide !
Entre la désolation de la neuvième heure vendredi, quand tout est fini, et la consolation de ce matin au jardin, ou de cet après-midi sur la route d’Emmaüs, ou de ce soir dans la chambre haute, quand tout commence, entre les deux il y a ce moment indescriptible, inimaginable, impensable : la disparition du corps. Elles sont hors d’elles-mêmes, ek-stasis en grec ! Elles avaient tout soigneusement préparé, les courses à la fin du sabbat, c’est-à-dire le samedi soir, les rites du deuil dès le point du jour, elles ont oublié un détail : rouler la pierre ! Douloureuses, désespérées (plus personne n’y croit, il n’y a que la Vierge Marie qui veille dans l’espérance), mais organisées, concrètes. Et voilà que tout bascule. Que tout leur échappe. Elles n’ont aucune explication, et elles ne peuvent pas comprendre le rendez-vous en Galilée.
Vous me direz : mais on leur a donné la réponse : il est ressuscité. Mais ce mot n’a pas plus de sens pour elles que pour Pierre Jacques et Jean le jour de la Transfiguration : Jésus leur dit de ne pas parler de ce qu’ils ont vu avant que le Fils de l’homme soit ressuscité d’entre les morts. Ils restèrent fermement attachés à cette parole, tout en se demandant entre eux ce que voulait dire ressusciter d’entre les morts (Mc 9, 9-10).
Amis, ces lignes de Marc nous sont précieuses, car elles nous invitent à entrer plus profondément dans le mystère de Pâques, dans la grâce de Pâques. La résurrection de Jésus n’est pas une survie après la vie, ou une immortalité de l’âme, ou une sorte de rayonnement durable dans l’histoire. Encore moins une réincarnation, comme si on pouvait être un autre. Ce n’est pas non plus une réanimation, comme pour la fillette de Jaïre, ou le fils de la veuve de Naïm, ou son ami Lazare, ces miracles improprement appelés résurrections. La vraie résurrection, celle du Christ, est quelque chose d’unique, d’imprévisible. Aucun rapport avec les histoires de dieux ou de héros qui meurent et qui revivent. Ni survie, ni re-vie. Depuis Noël, son humanité cachait sa divinité, parce qu’il a voulu être en tout semblable à nous, hormis le péché. Et ce voilement a été encore plus obscur quand il était sur la croix puis dans le tombeau. Mais dans la nuit de Pâques sa divinité embrase son humanité et le Père lui redonne cette gloire qui était la sienne depuis l’origine.
Depuis cette nuit, cette aurore, ce lever su soleil, sa présence est infiniment plus réelle que jamais. On croit qu’il n’est plus là alors qu’il est partout. Avec Marie-Madeleine, l’autre Marie et Salomé, nous le cherchons dans le passé alors qu’il est dans l’avenir, dans toutes les Galilées du monde. Nous le cherchons pour mettre la main sur lui, alors que c’est lui qui nous tient avec tendresse et force dans sa main transpercée. Comme saint Augustin avant sa conversion, nous le cherchons au-dehors alors qu’il est au-dedans.
Le Ressuscité est avec nous comme personne d’autre ne peut être avec nous. Il a dit : je ne vous appelle plus serviteurs, je vous appelle mes amis. Et toi ? Veux-tu qu’il soit ton ami ? En toute chose ? Pour toujours ? Inséparables ! Si inséparables que, comme dit saint Paul, ce n’est plus moi qui vis, c’est le Christ qui vit en moi. C’est le Christ qui parle, qui aime, qui souffre, qui ressuscite en moi. Pour que sa Gloire illumine le monde.