creche nuitJe regarde ce nouveau-né endormi sur le sein de sa toute jeune mère, enveloppé de langes improbables, où restent accrochés quelques brins de paille, car une mangeoire lui sert de berceau. Je regarde et j’écoute.

J’écoute le grand silence de cette nuit : avant que le messager du Seigneur proclame, avant que les anges chantent, avant que les bergers se réveillent et se disent « Allons à Bethléem ». Personne encore ne le sait. C’est quelque chose de tellement inimaginable, et presque impensable. Marie, seule, le sait. Ou du moins le pressent.  Sa science en effet n’est pas le fruit d’une évidence, encore moins d’un raisonnement. Mais d’une expérience. Ineffable. Qui l’inonde de joie et de gratitude : Dieu est là ! Depuis neuf mois, depuis l’annonce de l’ange, elle porte ce secret, qui ne l’a pas simplement émue ou troublée, mais bouleversée, nous dit saint Luc. Et l’heure est venue de le mettre au monde, de le livrer aux hommes. 

Oui, Dieu est là, dans un petit bonhomme qui ne pèse pas lourd, selon les mesures du monde et les forces à l’œuvre dans l’histoire. Le Fils unique, né du Père avant tous les siècles, « Un de la Trinité » comme disent les Pères de l’Église, a voulu naître d’une femme, homme au milieu des hommes. Le Verbe, la Sagesse éternelle, le cri d’amour du Père en qui tout est dit, est venu balbutier notre langage. Dieu nous étonnera toujours. L’étonnement est au cœur de la foi. Il est le cœur de la foi. Plus que d’autres, l’Apôtre Paul en a fait l’expérience : ce que nous proclamons, c’est ce que l’œil n’a pas vu, ce que l’oreille n’a pas entendu, ce qui n’est pas venu à l’esprit de l’homme, ce que Dieu a préparé pour ceux dont il est aimé (1Co 2, 9).

Et nous n’avons pas fini de nous étonner. Noël n’est qu’un début. Écoutez la suite. Un enfant de douze ans qui est dans le Temple comme chez lui : Dieu est là ! Un rabbi de trente ans, sans feu ni lieu : Dieu est là ! Un homme cloué à la croix par le péché du monde et par son amour des pécheurs : Dieu est là ! Un fragment de pain azyme devenu pain du ciel : Dieu est là ! Une Église persécutée de l’extérieur mais plus encore de l’intérieur par tant de reniements, et pourtant ruisselante de sainteté : Dieu est là ! Et ton âme qui tressaille au toucher imperceptible du Ressuscité : Dieu est là !

Depuis toujours l’humanité est inquiète de Dieu. Les religions cherchent à répondre à cette inquiétude. C’est leur grandeur. C’est aussi leur limite. Le Dieu des religions n'est pas vraiment étonnant. Sous des noms et des formes variables, il correspond trop bien aux pensées des hommes et à leurs désirs. C'est pourquoi j'ai du mal à y croire. En revanche ce Dieu inattendu, déposé dans une crêche, qui vient à notre rencontre et qui nous aime à en mourir, comment ne pas l'aimer ?

Famille Chrétienne, 21 décembre 2019