SAMEDI SAINT : la grâce d'espérer

En cette veille du sabbat qui cette année-là coïncidait avec la Pâque, tout semblait fini. Jésus a dit « c’est accompli » et il a livré l’Esprit, inclinant la tête dit saint Jean, le témoin oculaire : il a vu ce dernier soupir, il a vu la tête perdre son tonus musculaire et retomber : le Maître est mort. Le coup de lance du soldat ne fait que confirmer l’évidence : ce n’est plus un corps, c’est un cadavre. On se dépêche de trouver un tombeau, un linceul, des aromates. On roule la pierre. C’est fini. Chacun peut rentrer chez soi, le cœur lourd, les bras ballants, tout espoir anéanti, tout avenir impensable, dans l’obscurité qui recouvre toute chose depuis la sixième heure. Ce n’était donc qu’un rêve ? Les miracles, les paraboles, les rencontres toujours bouleversantes, les paroles lumineuses (« jamais un homme n’a parlé comme cet homme » Jn 7, 46), ce regard qui délivre et qui appelle… Fini ? Mort et enterré ?

Une seule garde la foi et l’espérance en ce temps comme suspendu, en ces heures d’absence et d’angoisse, déjà annoncées quand l’enfant avait douze ans et avait disparu, pour être retrouvé le troisième jour, dans le Temple ; « il me faut être chez mon Père » avait-il dit. C’est vrai : il ne peut pas être ailleurs que dans le Père et tout est possible. Marie veille. C'est purquoi le samedi lui est dédié. Mais elle ignore l’avenir, elle ne se raconte pas des histoires. Elle attend. Elle n’attend pas quelque chose. Son attente n’a aucun contour, aucune forme. Marie ne fait aucun projet, elle n’a aucune représentation, aucun scénario. L’espoir n’est pas l’espérance. C’est (entre parenthèses) l’erreur fondamentale de tous ceux qui avec bonne volonté veulent rebâtir Notre-Dame de Paris. Ils en ont l’espoir, et même le calendrier, et déjà des projets de mainmise sur ce haut-lieu de l’Église et de la France. Mais ont-ils l’espérance qui a soulevé tout un peuple au XIII° siècle et élevé les cathédrales ? L’espoir n’est pas l’espérance. Au contraire, c’est dans le désespoir que surgit l’espérance. L’espoir attend des choses, l’espérance attend Dieu. 

Il y a comme un seuil de l’espérance, je veux dire une discontinuité. Ce que j’espère à mon échelle et selon mes plans, j’en suis responsable, j’y investis mes ressources et mes compétences, je cherche éventuellement des appuis et des concours, bref j’en ai la maîtrise, même si cela ne marche pas à tous les coups. Mais je ne peux pas vivre seulement de projet en projet. Et je ne peux pas oublier que mon ultime projet terrestre sera de mourir le moins mal possible… Non, j’attends autre chose. Qui n’est justement pas une chose. Quelque chose qui n’est pas en mon pouvoir. Mais qui cependant dépend de mon bon vouloir, de mon ardent désir, au minimum de mon acquiescement. Quel est donc l’objet ou plutôt le sujet de cette espérance ? Le Royaume des cieux, disent Matthieu, Marc et Luc. La vie éternelle, dit Jean. La bienheureuse espérance, dit Paul. La Jérusalem nouvelle, dit l’Apocalypse, là où il n’y aura plus ni deuil, ni cri, ni douleur, la Cité sainte qui n’a pas besoin du soleil ni de la lune pour l’éclairer, car la gloire de Dieu l’illumine et son flambeau c’est l’Agneau (Ap 21, 4 et 23).

C’est ce seuil de l’espérance qui est franchi par Jésus dans la nuit du samedi au dimanche. Il y a une discontinuité du récit. Selon saint Luc, le soir du vendredi, les femmes disciples ont accompagné Joseph, elles ont regardé comment le corps était disposé, elles ont préparé les aromates. Le troisième jour, « à la pointe de l’aurore » elles arrivent avec leur désolation, leur hâte de retrouver le corps du Maître et leurs vases de parfum. Mais la pierre est roulée, le tombeau est vide. Elles sont désemparées, dit saint Luc. En effet la discontinuité est totale. Elles ne peuvent pas comprendre ce changement non seulement de décor mais de pièce ! La résurrection de Jésus est un événement qui nous échappe totalement, qui s’est accompli sans témoins, dans le silence de cette nuit, et en même temps cet événement nous touche au plus profond de notre conscience de vivre et de mourir. De façon inattendue c’est dans notre propre cœur qu’une pierre a été roulée et qu’un espace nouveau s’est ouvert. Il y a désormais en ce monde familier une porte béante ouverte sur l’éternité. Cela ne change rien : la vie est toujours la vie, la mort est toujours la mort. Et cela change tout. Le moindre instant, le moindre geste, le moindre battement de cœur ou soupir de l’âme, tout est illuminé et éternisé par cette Présence du Ressuscité. Telle est notre espérance !

Frères et sœurs il est temps de réveiller notre espérance. Depuis trop longtemps on nous répète qu’il faut faire un monde plus juste et plus fraternel, cette formule revient sans cesse dans nos catéchèses, nos sermons, nos prières universelles. Ce n’est pas faux. Mais c’est une toute petite partie de la vérité, de la vraie espérance. Jésus n’est pas venu améliorer le monde. Il est venu sauver le monde. Là encore ne confondons pas nos espoirs d’un monde meilleur et notre espérance du monde à venir. Marx et d’autres nous ont reproché de faire rêver du Ciel au lieu de faire la révolution sur la terre. Mais justement en Jésus Christ le Ciel a visité la terre. Un amour neuf et pur et contagieux nous est offert. Il nous donne la grâce, la force, la lumière pour annoncer et préparer dès maintenant le Royaume. Comme le dit Mgr Schneider (évêque auxiliaire d’Astana) le grand problème migratoire de l’Église, c’est de permettre la migration des hommes de ce temps vers le Royaume de Dieu. Et son grand engagement pour le climat c’est de changer l’atmosphère étouffante d’un monde où Dieu n’est pas adoré et où la dignité de l’homme n’est pas respectée. Oui, sa mission est de répandre sur le monde le souffle de l’Esprit Saint. L’effusion de l’Esprit Saint est le fruit immédiat et permanent de la mort et de la résurrection du Christ : « Il souffla sur eux et dit : Recevez l’Esprit Saint ! » (Jn 20, 22). C’est le secret de notre espérance. Son âme. Sa certitude.